Message #46776

Norbert Bernard‎ (via "Facebook", page "La vraie vie c'est la littérature")
rédigé le Mardi 27 Aout 2019
Désultoirement vôtre ! - Archives, histoire, documentation - Généalogie et sagas familiales - Références culturelles
C’était au mois de septembre 1969, le hall de la faculté des Lettres d’Aix-en-Provence était animé, beaucoup de monde, des étudiants rassemblés et en colère après le suicide de Gabrielle Russier, le 1er du mois.
Elle avait 32 ans. Jeune professeure agrégée de Lettres à Marseille, divorcée et mère de deux enfants, elle était tombée amoureuse de l’un de ses élèves, Christian Rossi, âgé de 17 ans. Une histoire d’amour, banale aujourd’hui, qui ressemble un peu à celle vécue par le couple Macron. Mais nous étions en 1969 et tout s’est terminé tragiquement, un an après Mai 68 qui s’éteignait dans quelques soubresauts, laissant des traces définitives dans une société française encore engoncée dans des mœurs et des préjugés d’un autre temps.
Les parents du jeune homme, professeurs d’université n’acceptent pas la relation de leur fils avec Gabrielle Russier, ils portent plainte pour détournement de mineur, la majorité est à 21 ans à l’époque. La justice incarcère trois fois la jeune femme, la dernière durant 5 semaines aux Baumettes. Elle est finalement condamnée à 12 mois de prison avec sursis. Insuffisant pour la justice qui s’acharne, le procureur fait appel (sur quelle pression ?). Devant de nouveau comparaître en appel, elle ne supporte plus la pression et se suicide le 1erseptembre, il y a 50 ans.
Interrogé lors d’une conférence de presse, le Président de la République, Georges Pompidou, citera Eluard : « Comprenne qui voudra. Moi mon remords ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés ».
Aznavour écrira une chanson : « Mourir d’aimer »
Cayatte réalisera un film en 1971
Raymond Jean, professeur à Aix, écrivain et ami de Gabrielle Russier rassemblera et préfacera les « Lettres de prison ».
Qui se souvient aujourd’hui de Gabrielle Russier, morte d’amour, « celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés » ? et de la haine d’une société revancharde.
C’était un temps romantique où nous croyions pouvoir aimer sans contrainte et revendiquer toutes les libertés, parfois avec arrogance, l’arrogance naïve de la jeunesse. Ils ont patienté, laissé passé l’orage, fait les concessions nécessaires puis se sont vengés. La mort de Gabrielle Russier sonne la fin des utopies et donne le signal de la vengeance, la justice s’est acharnée, l’État a repris la main, les vieilles valeurs ont relevé la tête.
Elle est morte, avec elle nos espérances, nous avons continué à vivre, nous sommes rentrés dans le rang.
Qui se souvient de Gabrielle Russier ?

Comprenne qui voudra
En ce temps là, pour ne pas châtier
les coupables, on maltraitait des filles.
On allait même jusqu’à les tondre.
Comprenne qui voudra
Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta
Sur le pavé
La victime raisonnable
À la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée défigurée
Celle qui ressemble aux morts
Qui sont morts pour être aimés

Une fille faite pour un bouquet
Et couverte
Du noir crachat des ténèbres

Une fille galante
Comme une aurore de premier mai
La plus aimable bête

Souillée et qui n’a pas compris
Qu’elle est souillée
Une bête prise au piège
Des amateurs de beauté

Et ma mère la femme
Voudrait bien dorloter
Cette image idéale
De son malheur sur terre.

Paul Eluard, Au rendez-vous allemand, 1944


N.D.L.R. : 50 ans déjà... Joël, je pense à vous. Amitiés, PPF

14 juillet 2012.

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