Message #19251

Dominique CHADAL
rédigé le Lundi 18 Janvier 2016
Désultoirement vôtre ! - Généalogie et sagas familiales
Scandale à Nay !

Je tournais virtuellement les pages des registres paroissiaux de Nay (1), pour tenter d'étoffer la branche de mes ancêtres Déodat, lorsque, au détour d'un feuillet, je tombai sur ceci :

AD 64 Nay 1733-1742 vue 21/219

"Le 27e May 1734 est né un enfant illégitime de
Marie de Louis qui a nommé pour père Pierre
Puyoo de la p(rése)nte ville, lesquels avoient fait
un grand scandale le 18 octobre 1733 s'étant
pris de leur autorité pour mari et femme à l'issuë de la Messe
de Paroisse et habitèrent publiquement ensemble
mais Monsieur le Procureur général ayant
été informé de cette témérité fit rendre arrêt
en grand chambre par lequel il est défendu
à Pierre Puyoo et Marie de Louis d'habiter
ensemble sous peine de mille écus, ordre aux jurats (2) d'y tenir la main
et qu'il seroit informé du scandale par Monsieur
de Carrere con(seill)er, le susd(it) enfant a été batisé
le 28e du mois de May à la présentation
de Jean Lajus natif de Mirepeix et de Catherine
Herbein native de Jonval diocèse de Rheims, mari
et femme par nous Dupoux curé de Naï"

Dans sa sainte colère, notre brave curé en oublie de préciser le prénom et le sexe de l'enfant ! Piquée par la curiosité, j'ai poursuivi la lecture du registre et j'ai trouvé au fil des pages suivantes quelques pépites qui m'ont permis d'en apprendre davantage.

Quatre mois à peine après ce baptême, le même curé indique sobrement :

"Le 19e Sep(tem)bre 1734 est décédée une fille illégitime
de Pierre Puyo et Marie de Louis et a été…
le 20 elle étoit agée de 20 mois."

Une tache d'encre masque en partie le texte, mais on comprend aisément que l'enfant a été enseveli. Le prêtre n'a pas jugé utile de préciser son prénom et j'ai cherché en vain son baptême dans les derniers mois de 1732 et les premiers mois de 1733.

La vindicte se rallume deux ans plus tard :

"Le 6e octobre 1736 est décédé un enfant d'iniquité de
Marie Louis lequel avoit été batisé ondoyé par
sage femme laquelle Marie Louis a nommé
pour père Pierre Puyo son fiancé lesquels n'ont
jamais receu la benediction nuptiale n'ayant
point rempli les devoirs de bons catholiques et
comme ils se prirent pour mari et femme…"

Mais vous connaissez déjà l'histoire. "Enfant d'iniquité", rien que ça : peste ! le curé n'y va pas de main morte ! Quelques lignes plus loin, l'homme d'église ne peut s'empêcher de laisser à nouveau percer sa désapprobation avec des phrases bien senties : "lesd(its) Pierre Puyo et Marie de Louis continuent scandaleusement à malverser", "enfant qu'ils ont eu de leur commerce scandaleux et illégitime…" et pas davantage de prénom que la fois précédente.

Un nouveau marmot pointe le bout de son nez dix-huit mois plus tard, dans un climat plus apaisé :

"Le 21e May 1738 est né Bernard fils illégitime
de Pierre Puyo et de Marie de Louis et a été
batisé le 22e à la présentation de Bernard Aliot
demeurant à Arros et de Marie Puyo qui ont
signé avec nous Dupoux curé de Naï"

Les récalcitrants auraient-ils fini par entendre raison ? Le 6 octobre 1738, après avoir "donné des témoignages sincères de leur véritable retour dans le giron de l'église", ils reçoivent enfin la bénédiction nuptiale !

Ce qui nous permet d'en apprendre davantage. Pierre Puyoo, fils de Jean Puyoo et de Catherine Bernis, est un marchand âgé de trente-quatre ans, capable de signer d'une main ferme l'acte de mariage. Son épouse, qui a le même âge à peu de choses près, est la fille d'un maître teinturier de Pontacq ; elle appose sa signature sans trembler sur le registre, à côté de celle de son conjoint.

AD 64 Nay 1733-1742 vue 90/219

Le prénom de sa mère, Judith, m'a soudain mis la puce à l'oreille. Ces consonances bibliques ne seraient-elles pas la marque de la religion protestante ? Nous sommes en Béarn, à quelques lieues au sud-est de Pau. Jeanne d'Albret, mère du futur Henri IV, s'était en son temps convertie au calvinisme. Le Dictionnaire de l'Ancien Régime nous indique que la Réforme fut favorablement accueillie par une partie de la population, notamment au sein de la noblesse et de la bourgeoisie des cités.

Or les protestants considéraient le mariage comme un contrat et non comme un sacrement, ce qui expliquerait la démarche de Pierre Puyoo et de Marie de Louis, qui firent preuve d'une belle indépendance d'esprit. Ils ont néanmoins fini par céder à la pression sociale et sont rentrés "dans le giron de l'église", comme le dit si bien le curé de la paroisse de Nay.

Deux ans plus tard, le 20 août 1740, naît une petite Marie, la première du couple à être considérée comme légitime. Je plains néanmoins les généalogistes qui tenteront de reconstituer toute la fratrie…

Sources :
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, Nay, registre des BMS 1733-1742, vues 21/219, 25/219, 40/219, 83/219, 90/219 et 141/219.

N.D.L.R. : J'ai écrit à Dominique : "Et alors ? Dis-nous tout ! Ils font partie de nos ancêtres ou ce sont juste des voisins ?"

Dominique m'a répondu : "Il y a bien des Puyoo originaires de Nay dans la famille, mais je n'ai pas trouvé (pas encore ?) de lien avec celui-ci. C'est un patronyme plutôt fréquent dans le sud-ouest…"

A suivre donc.

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