Epis de faîtage

RECHERCHES SUR LES EPIS DE FAÎTAGE DANS L’OUEST DE LA FRANCE

par Dominique RONSSERAY, architecte en chef des monuments historiques

(in « Etude préalable pour la restauration des couvertures des écuries et du pavillon
du colombier du manoir de la Chaslerie », septembre 2006)


Préambule

Il ne serait pas possible d’aborder ce sujet sans se référer à VIOLLET LE DUC qui, dans son volume V du "dictionnaire raisonné de l’architecture", consacre plus de seize pages à cet ornement de toitures dont il décrit et dessine les plus beaux exemplaires qu’il a connus ou qu’on lui a évoqués et qui sont exposés dans les musées.

On en retiendra un point important, mais pas toujours vérifié sur le terrain, à savoir :

- l’emploi d’épis métalliques pour les couvertures d’ardoises ou de métal (plus tardif),

- l’emploi d’épis de terre cuite pour le chaume et la tuile.

Cela est vérifiable souvent, car les pays riches en argile pouvaient produire tout le matériel nécessaire à une couverture, tandis que les pays schisteux avaient plus recours aux ouvrages complémentaires en métal (plomb, cuivre et zinc).

A cette approche, il faut ajouter l’évolution du goût architectural associé à une symbolique qui fit oublier le premier rôle fonctionnel de cet ouvrage, car il est évident que dès la naissance de ce qu’il est bon d’appeler l’architecture, le caractère d’un élément a toujours découlé d’un besoin fonctionnel. Tel est le cas de l’épi que l’on retrouve dès l’antiquité (les antéfixes).

La nécessité

Elle est évidente et simple. Dès que les bâtisseurs durent construire une hutte avec poteau central, puis des charpentes assemblées avec poinçons verticaux, il fut indispensable de laisser dépasser une portion de cette pièce de bois pour assurer l’assemblage des pièces, soit liées autour, soit assemblées ensemble par tenons et mortaises. Ces parties de pièces de bois dépassaient donc du plan de la couverture, en présentant ainsi leur tranche, c’est-à-dire leur fil, aux intempéries. C’est ainsi que l’on trouve, de façon primitive ou provisoire, des pièces plates de métal, schiste ou terre cuite, clouées sur la tranche de la pièce de bois.

Il semble probable, et cela expliquerait l’évolution de l’ouvrage, que le réflexe des couvreurs ou charpentiers fut de protéger cette tête de poinçon, d’un morceau d’amphore ou de cruche brisée ou suffisamment large, conservant parfois les anses, éléments que nous retrouvons pendant des siècles, sans qu’il y ait une vraie raison fonctionnelle.

Ainsi donc, dès la fin du chantier, le poinçon était coiffé par mesure de précaution d’une cruche renversée, comme l’on mettrait aujourd’hui une maxi bouteille de plastique récupérée sur le chantier.

Le décor

Puis venait l’achèvement du chantier et le traditionnel « bouquet final » ornant le point le plus haut de la construction. Il est donc vraisemblable qu’autour de cette jarre retournée, était assemblée et liée une ornementation florale qui, encore récemment en Bretagne, était le signal de réjouissances traditionnelles. Il n’est donc pas déraisonnable que cet aménagement provisoire, symbole de la fin de la construction du bâti, soit resté comme le signe de l’aboutissement d’un projet qui devait être le fruit d’un effort financier lourd, quel que soit le niveau social du maître d’ouvrage. Il semble donc normal que ce décor symbolique soit pérennisé et donc réalisé en matériau durable.

C’est ainsi qu’a dû prendre forme la silhouette et la stylistique dont nous voyons l’évolution au cours des siècles :

- rappel de la fonction de cruche, protégeant le bout de bois,

- rappel du décor floral et rural traditionnel, auquel s’ajouteront des signes démonstratifs de propriété, voire de puissance.

Evolution historique

Comme le confirme VIOLLET LE DUC, il ne nous reste plus d’exemplaires de ces épis, remontant au-delà de l’époque gothique.

Cependant, dans son étude, ponctuelle certes, mais détaillée, portant sur les épis de faîtage de Bretagne et particulièrement des Côtes d’Armor, C. KULIG a montré que la tapisserie de BAYEUX présentait des figurations schématiques d’habitat et de palais où l’on peut discerner des épis de faîtage, stigmatisant la silhouette de la toiture. On allait cueillir dans le champ une brassée de fleurs pour créer un bouquet, le plus réussi.

Et ainsi naquit l’art de l’épi de faîtage, attesté du Xème au XVIIIème siècles. De même allait naître l’image du pot à feu, lui aussi héritier d’une tradition qui vint de l’art des jardins.

Avec le XIXème siècle et l’emploi généralisé du zinc, le besoin restant nécessaire se réduisit à des superpositions géométriques de sphères et pyramides sans symbolique. Il fallut le goût néogothique pour recréer sur des toitures prétendues de qualité, des effets décoratifs, souvent exagérés et d’une gracilité artificielle bien éloignée des raisons originelles.

Les motifs

Cette tradition de symbolisation pérenne d’une pratique de chantier, suivit deux évolutions suivant la région.

En Bretagne, on trouve au début le pichet renversé dont on distingue une anse, voire deux. Son analogie avec un broc renversé est évidente. Sans doute, pour matérialiser l’oiseau qui se pose spontanément sur ce perchoir, on y voit un symbole de bienfait pour le bâtiment et, de ce fait, on le façonne dans l’argile. Nombreuses sont encore visibles ces bouteilles coiffées d’un oiseau. De symbole en symbole, apparaissent ensuite d’autres animaux ou personnages (cavalier appelé Frederick, le bonhomme et sa bonne femme enceinte, le masque regardant l’entrée semblant contrarier le mauvais œil, etc…).

Puis, suivant l’échelle du bâtiment et la dimension du poinçon, cet élément définitif était fait de plusieurs morceaux empilés sur la pièce de bois pour les plus gros, sur une tige de fer pour les plus petits (on trouve un trou sur un élément sommital). Ils sont ornés de quatre rangées de boutons superposés, orientés vers les points cardinaux, et percés de trous pour siffler suivant la puissance du vent. Il est vraisemblable que la tige de fer dépassait, supportant une girouette qui pouvait, par repérage avec les rangs de boutons, indiquer le sens du vent et sa puissance, mais aussi attirer la foudre, incendier la toiture, comme ce fut le cas à la Chaslerie.

En Bretagne, ces épis sont faits d’une terre jaune, épaisse, qui devient rouge à la cuisson et est ensuite parfois vernissée d’une gangue brune.

En Normandie, le vocabulaire semble différent. Sur le poinçon, sans doute déjà orné d’une tige de fer, étaient enfilés des fruits de la ferme, en symbole de fertilité(potiron, courge, coloquinte, chou) puis surmontés d’un pichet renversé, sur lequel était ligaturé le bouquet et, au sommet, la « pinia », la pomme de pin, symbole de fertilité. Cela donnait une silhouette ventrue, figurative, ornementale, qui devint un modèle que l’on retrouve dans l’ensemble des épis du Domfrontais :

-vase en forme de pot de chambre,

-sphère ventrue, ornée de cosses en forme de godrons,

-bouquet de fleurs en quatre brins, suivant les points cardinaux.

Cette élégance rustique passa de la terre cuite au métal et la différence de matériau permit des recherches d’élégance et de sveltesse propres aux métaux, créant de nouveaux modèles (voir au château de Carrouges, dans l’Orne).

Les faîtages de la Chaslerie

Un inventaire de ces éléments dans le Domfrontais et la périphérie de GER est en cours. Cependant, le fait d’avoir retrouvé dans le manoir (ainsi qu’au manoir de la Servière, à Céaucé) des éléments épars, a permis de les confier à des spécialistes, Cécile et Louis DEIN, afin de les réparer, les reconstituer avec une terre fine et donnant, après cuisson, la même couleur brune(*).

(*) Depuis cette étude préalable, dix épis de faîtage ont été réalisés pour le manoir de la Chaslerie.