Références culturelles

Jean-Pierre ARBON
rédigé le Vendredi 5 Février 2021
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Dire ou ne pas dire
Publié le 5 février 2021

De la lecture de mes deux derniers articles, il résultera aux yeux de mes lecteurs que je suis de ceux qui pensent que le volume de choses nouvelles qui restent à dire sur la nature humaine est extrêmement limité. On croit être original, mais on répète, on redit, on reformule, on paraphrase. Car l’espèce humaine étant semblable à elle-même depuis la nuit des temps, ceux qui ont parlé en premier, les Homère, les Eschyle, les Sophocle, les Socrate, ont dès le début énoncé l’essentiel. (Dans la querelle des Anciens et des Modernes, on voit que je penche du côté des Anciens.)


« Rien de nouveau sous le soleil », confirme l’Ecclésiaste *. Cependant le soleil continue à se lever tous les jours, et lui aussi se répète, au fil des saisons comme des millénaires. Or aucune journée n’est identique à une autre. Il se produit toujours d’infimes variations. Si bien que je suis également sensible à l’objection formulée (entre autres) par Musset : « la lâcheté nous bride, et les sots vont disant / que sous ce vieux soleil tout est fait à présent / comme si les travers de la nature humaine / ne rajeunissaient pas chaque an, chaque semaine ».

Alors dire ou ne pas dire ? « Les paroles seules comptent, le reste est bavardage », disait Ionesco. Il se peut que ce soit le fin mot de l’affaire.

* pertinemment cité par Claudine, en la circonstance.
Le sol de la cathédrale St Jean de La Valette, Malte. Chaque section est un lieu de sépulture pour un chevalier de Malte. Chacun est fait de marbre incrusté :


N.D.L.R. : « Vous qui marchez sur les morts, rappelez-vous qu'un jour on marchera sur vous ».

207.

Contemporain de la Chaslerie.
On ne s'en lasse pas.
Jean-Pierre ARBON
rédigé le Lundi 8 Février 2021
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Dire Brassens
Publié le 8 février 2021

© AFP


Brassens disait : « J’étais capable d’arranger des syllabes, mais je ne me prenais pas pour un poète (…) Si j’ai fait de la musique, si j’ai mis une mélodie derrière, c’est que j’ai pensé que les paroles ne se suffisaient pas à elles-mêmes. C’est mon opinion, mais je me trompe peut-être… *»

Oui, il se trompait. Voici à mon sens ce qui s’est passé dans sa tête. Il a tellement fréquenté les poètes, Villon, La Fontaine, Lamartine, Hugo, il est devenu tellement intime avec eux, qu’il a jugé qu’à l’aune de leurs écrits, les siens ne faisaient pas le poids. Et comme il avait grandi au sein d’une famille où l’on chantait tout le temps, il s’est épanoui dans un genre dont il est probablement l’un des inventeurs, et qu’il a porté à un degré inégalé : celui où le poète travestit ses œuvres en chansons.

Ce que Brassens nous a laissé, nous l’appelons donc : chansons. Toutefois, enlevez la musique de la plupart des chansons des autres, les paroles ne tiennent plus, elles s’affaissent, elles s’affadissent. Pas chez Brassens. Elles tiennent, elles sont solides, et d’une solidité souvent impressionnante. C’est pour cela que j’ai entrepris de les dire : pour faire entendre leur fermeté, ainsi que les subtils changements de ton qu’elles contiennent d’un couplet à l’autre, et que la musique parfois aplanit, ou dissimule, plus souvent qu’elle ne les révèle.

— Critiqueriez-vous, Monsieur, les musiques de Brassens ? — Non pas, bien au contraire. Mais si vous écoutez les textes seuls, vous y découvrirez des nuances — et des silences — que vous n’y aviez jamais entendus.
Jean LOUCHET (via "Facebook")
rédigé le Mercredi 10 Février 2021
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Un petit hommage bien mérité à Katalin Kariko.


On doit à son désintéressement et à sa ténacité face à un establishment dubitatif (car les gens qui savent se faire mousser ont rarement le niveau pour comprendre, c'est pareil dans tous les métiers) l'invention, avec l'aide de Drew Weissman, de la protéine PSI (pseudo-uracile), et des vaccins à ARN messager modifié (ARNt) : ce qui a permis la création des deux meilleurs vaccins contre covid-19 (Pfizer et Moderna, tous deux exploitant la licence de BioNTech sur l'invention de Katalin Kariko et Drew Weissman).
Le taux d'efficacité de ces vaccins et leur faible niveau d'effets indésirables (1) sont une première qui fera date dans l'histoire de la vaccination.
Les inventeurs ne touchent pas de royalties pour leur invention, qui va sans doute sauver des dizaines de millions de vies humaines. Beaucoup pensent à eux pour le prochain prix Nobel, et ils méritent bien plus que ça !
Ces vaccins anti covid sont une retombée des 40 ans de travail de Kariko sur l'ARN messager, dont 25 ans en vue du traitement des cancers. Elle a quitté la Hongrie en 1984 avec sa petite famille (dont sa fille maintenant de 1,92m qui est devenue médaille d'or olympique d'aviron !) et les minuscules économies cachées dans le nounours, car son labo hongrois ne croyait pas à l'intérêt des recherches sur l'ARN, pour rejoindre UPenn (l'université de Pennsylvanie) où les patrons n'y ont pas cru non plus et l'ont rétrogradée de professeur à chercheuse de base installée dans la cave et payée à clopinettes (le critère de qualité scientifique y est la capacité à obtenir des contrats...). Toujours le conformisme psychorigide des managers de la recherche (2) . Elle n'a pas faibli car elle avait l'intime conviction que ça marcherait, et a longtemps mangé des ravioli en boite... elle aussi n'était pas essentielle.
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Ces vaccins (donc actuellement Moderna et Pfizer) consistent simplement en _une_ molécule qui envoie un message directement, sans intermédiaire, au bon endroit du système immunitaire pour lui dire de fabriquer les anticorps : ce vaccin n'est autre qu'un message codé, incapable de faire autre chose que de transporter un message, il est un message, qui s'autodétruit après lecture presque comme dans "Mission Impossible" - contrairement aux vaccins traditionnels qui consistent à infecter le patient avec des virus (plus ou moins) inactivés qui agissent de manière indirecte et complexe, avec des effets secondaires potentiellement importants et jamais totalement maîtrisés.
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L'aventure de Katalin Kariko est la preuve qu'en recherche, quand on remonte aux fondamentaux, on rencontre la puissance de la généralité : la recherche "purement appliquée" n'existe pas (3). La recherche, quand elle existe, et même si les applications servent de boussole et de carotte, est par nature essentiellement fondamentale, et parce qu'elle est fondamentale, trouve des applications le plus souvent là où on ne les attendait pas. Ici, il a suffi de "tourner un bouton" pour que l'application phare de ces 40 années de travail devienne presque instantanément notre chère (!) épidémie.
La machine anti-covid est en route puisque cette technique de vaccination, construite sur le code génétique du virus à combattre, permet dorénavant de développer en 6 semaines le vaccin variant spécifique à n'importe quel variant du virus.
Dans son équipe maintenant en Allemagne (BioNTech), une autre bonne nouvelle : tous n'ont pas tourné le bouton, et bientôt (dans 2 ou 3 ans?) nous entrerons dans l'ère des vaccinations anti-cancer par la même technique (ARN messager). Un grand soleil si longtemps attendu, se lève sur le paysage de la cancérologie. C'est vertigineux.
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Merci Katalin.
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JL
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(1) Les essais cliniques randomisés en vue de l'homologation du vaccin Moderna ont montré, à partir de 2 semaines après le rappel, une efficacité de 94,1% sur la probabilité de contracter la maladie, et - on le dit moins souvent - une efficacité de 100% (oui, 100% !!! ) sur les formes graves de la maladie (voir le document référencé ci-dessous). Les premières mesures montrent (après la vaccination de rappel) une subsistance des immunoglobulines IgG (nticorps à long terme) nettement plus grande qu'avec l'immunité naturelle des personnes qui ont contracté la maladie ; seul un plus grand recul dans le temps permettra de vraiment connaître la durée de l'immunité conférée par le vaccin.
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(2) Comme les mauvais curés qu'on affecte à l'évêché, les mauvais profs qu'on affecte au rectorat, en France les mauvais chercheurs vont au ministère de la Recherche et les mauvais médecins vont au Conseil de l'Ordre ou aux ARS...
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(3) la "recherche appliquée" n'existe pas dans le monde réel, elle est une fiction inventée pour remplir la panoplie des outils de collecte de financement de la recherche - tout comme l'"intelligence artificielle" qui n'est rien de plus qu'une technique de financement de l'art de programmer les ordinateurs.
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Référence : covid-19-vaccine-moderna-epar-public-assessment-report_en.pdf