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Front Populaire
rédigé le Jeudi 2 Mars 2023
Désultoirement vôtre ! - Pouvoirs publics, élus locaux - Economie
Les agriculteurs face au danger des sociétés agricoles financiarisées

Les sociétés agricoles financiarisées se développent en France, au grand dam des agriculteurs, qui redoutent à terme une logique d'accaparement et la financiarisation des terres.


A quelle sauce les agriculteurs seront-ils mangés ? Au cœur de la question, ces nouveaux acteurs qui entendent accaparer les terres agricoles : les sociétés agricoles financiarisées, soit des entreprises à capital ouvert qui permettent à des investisseurs non agricoles d’investir dans la terre. Selon une étude de l’association Terre de liens, citée par Marianne, elles contrôleraient aujourd’hui 14% de la surface agricole en France.

Contacté par Front Populaire, l’éleveur Philippe Grégoire se désole de ce phénomène. « La vente de terres se fait via les coopératives de portage de foncier. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) participe elle-même à faire rentrer des financements par des sociétés civiles adossées à des coopératives. On y retrouve Avril, leader industriel et financier des filières des huiles et des protéines, mais également des sociétés plus connues comme Auchan, Chanel, L’Oréal ou encore Nestlé », souligne l’agriculteur. D’après l’association Terre de liens, ces firmes n’hésitent d’ailleurs pas à y mettre le prix : « (...) autour de Grasse dans les Alpes-Maritimes, Chanel et L’Oréal achètent des parcelles à prix d’or (entre 500 000 et un million d’euros, soit 2 à 4 fois le prix des terres localement) pour produire leurs plantes à parfum ». Ces sociétés « passaient jusque-là par la contractualisation avec des agriculteurs », écrit l’association.

Un loyer en fermage qui va exploser

Sur l'ensemble de la population agricole, 65% des agriculteurs sont locataires, et ce phénomène aura une grande incidence. « On paye une location à l’année, qui va de 70 euros à l’hectare jusqu’à 200 ou 250 euros pour les bonnes terres. Si demain ce sont des grands groupes qui mettent la main sur le foncier, ils vont louer autour de 250 euros ou plus », alerte Philippe Grégoire. A terme, les risques sont multiples pour les agriculteurs. « Tout sera fait pour générer des profits mais pas pour renouveler les générations agricoles. Les jeunes ne s’installeront pas. Cela voudra dire que le monde paysan n’est plus capable d’acheter ses propres terres. Nous n’aurons plus rien entre les mains », renchérit l’éleveur.

À l’heure où les problèmes climatiques se multiplient et où le risque de pénurie alimentaire s’accroît, ce n’est pas un hasard si ces grands groupes décident d’investir autant dans la terre. « Ils vont placer leur argent pour être en situation dominante. Ces sociétés vont créer une situation d’oligopole et pouvoir spéculer sur le prix de la terre et sur l’alimentation. Elles pourront mettre en jachère les terres et faire pression sur les États », selon l’éleveur.

D'autant que ces sociétés se développent en marge du marché classique, régulé par les Safer, les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, qui sont des établissements publics. « Le principe est simple, un investisseur achète des parts d’une société agricole et devient ainsi propriétaire des terres qui sont fondues dans le capital d’exploitation de la société. La SAFER estime que 200 000 ha transitent chaque année via ce marché qui échappe à sa régulation, écrit l’association Terre de liens. En 2021, la Loi Sempastous (destinée à lutter contre la concentration des terres et à faire toute la transparence sur les cessions de parts sociales, ndlr) aurait dû permettre de s’attaquer à ce marché parallèle, mais elle a été largement détricotée par le Sénat ».

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