Message #55323

Derrière la question du mix 100 % renouvelable, la question du pilotable

Si les partisans d’un monde 100 % renouvelable ont tendance à l'évacuer bien rapidement, une question se pose, et elle conditionne tout le reste : celle de la pilotabilité des énergies.


Dans un monde aux ressources limitées, n’avons-nous que pour seul horizon la décroissance ? C’est, si l'on schématise, la théorie défendue par Jean-Marc Jancovici depuis plusieurs décennies. À ceci près que « la quantité de civilisation industrielle que nous allons conserver est pour une fraction significative liée à la quantité de nucléaire que nous allons réussir à garder ou à développer », nuance l’ingénieur et président du think tank "The Shift project", lors d’un entretien accordé au média Elucid et diffusé le 11 février.

Si Jean-Marc Jancovici part de ce postulat, c’est qu’il ne croit guère au renouvelable. Tout du moins, au renouvelable qui viendrait remplacer des capacités pilotables déjà existantes pour composer l’essentiel du mix énergétique de la France. « L’Allemagne a plus investi en solaire et en éolien que la France n’a historiquement investi dans le parc nucléaire existant », rappelle-t-il, avant de s'attarder sur les bilans écologiques de part et d’autre du Rhin : « l’Allemagne (…) se balade aux alentours d’à peu près 450 grammes de CO2 par kilowattheure alors que la France, son facteur d’émission moyen se balade aux alentours de 60. » Joli contraste. L’éolien et le photovoltaïque allemand, installé en vingt ans, a surtout eu pour objectif le remplacement du nucléaire, dont Berlin veut à tout prix s'écarter, et non celui du charbon. Une catastrophe pour la lutte contre le réchauffement climatique à une époque qui ne cesse pourtant de mettre en avant l’urgence d'agir.

Pour autant, le pays d’Olaf Scholz ne désespère pas à atteindre son Graal, le 100 % renouvelable et la neutralité carbone d’ici 2045. Mais comment gérer l’intermittence de l’éolien ou du photovoltaïque ? Que faire les nuits sans vents, et les jours sans soleil ? Nous stockerons, répondent en cœur les partisans d’un tel monde. Les batteries, « ça permet de faire du stockage journalier ça ne permet pas de faire du stockage qu’on appelle inter saisonnier (…) non plus de faire du stockage interannuel », estime quant à lui Jean-Marc Jancovici. Le fondateur de Carbone 4 rappelle que les conditions météo moyennes sur une année « sont variables d’une année sur l’autre (…) la différence entre une très bonne année et une très mauvaise année peut aller jusqu’à 20 ou 25 % ».

Pilotable oui. Mais à court terme

Tous ne sont pas d’accord. C’est le cas d'un autre visage très présent dans les médias — tout comme Jean-Marc Jancovici, par ailleurs – : Yves Marignac. Auditionné le 1er février par la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, le chef du pôle énergies nucléaires et fossiles de l’institut négaWatt, anti-nucléaire notoire, y croit. « Les systèmes 100 % renouvelables ne consistent pas à accepter des périodes sans énergie », affirme-t-il, avant de glisser un petit tacle contre « certains acteurs » et leurs « caricatures » qui « desservent le débat ».

L’explication peine à convaincre. Yves Marignac considère que les énergies intermittentes, sont prévisibles « parce que l’on sait anticiper la production du photovoltaïque et de l’éolien aux échelles de temps où il faut savoir se projeter pour gérer un système électrique. » Mais alors, quelles sont-elles, ces échelles ? On sait « anticiper des périodes anticycloniques longues, et même prévoir à vingt-quatre heures près le niveau d’ensoleillement ou de vent, au point de pouvoir aujourd’hui le contractualiser ». À titre d’exemple, les producteurs photovoltaïques indiens s’engageraient sur un niveau de production qui irait du jour pour le lendemain « au quart d’heure près ». Pilotable à très court terme, oui. Mais pas à long terme sans moyen de stockage.

« Je pense qu’on n’y arrivera pas »

André Merlin, président d’honneur du Réseau de Transport d’Électricité (RTE), auditionné le même jour, s’interroge : « Je ne suis par ailleurs pas opposé à l’insertion de moyens éoliens ou solaires », mais « ces systèmes présentent des limites et, au-delà de 50 % de moyens non pilotables dans le mix énergétique, je pense que nous courrons certains risques ». Auditionné le 12 janvier, Bruno Bensasson, président d’EDF-Renouvelables, ne dit pas autre chose. « L’éolien et le solaire sont relativement prévisibles, la veille, mais pas six mois à l’avance », explique-t-il.

Est-ce à dire qu’il soit inutile (voire néfaste) de développer d’éolien ou de photovoltaïque sur le territoire ? Pas nécessairement. En revanche, substituer des moyens pilotables — donc prévisibles — pour injecter du renouvelable à la place semble une erreur à ne pas commettre. C’est pourtant ce qu’ont voulu faire les gouvernements successifs des quinquennats Hollande et Macron. Par ailleurs, telle semble également être l'avis du PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné. Auditionné le 23 novembre, celui-ci a considéré que le nucléaire français n’étant « pas [assez] flexible », la part de renouvelable développée devra s’accompagner en partie de « centrales à gaz ».

Le nucléaire est suffisamment pilotable pour infirmer les propos du grand patron, mais pas suffisamment pour s’ajuster à la pointe de consommation. Pour y répondre, la France sollicite l’hydraulique, les importations — même du temps, pas si lointain, où elle était première exportatrice nette d’électricité en Europe — ou enfin ses centrales thermiques. « Faire un système pilotable avec essentiellement du solaire et de l’éolien, moi je pense qu’on n’y arrivera pas », affirme Jean-Marc Jancovici, qui met également en avant la grande quantité de métaux (les fameuses "terres rares", très largement importées de Chine) nécessaire pour y arriver. Jusqu'à preuve du contraire, difficile de lui donner tort. Sauf à plonger la France dans une décroissance forcée et brutale, bien plus coercitive que l’actuelle injonction gouvernementale à la « sobriété ». Ce qui est peu ou prou le scénario que privilégie négaWatt.

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