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rédigé le Mercredi 8 Février 2023
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Pénurie d'agriculteurs : la souveraineté alimentaire française menacée

D'ici 2030, 40% des agriculteurs français partiront à la retraite. Le secteur de la viande bovine craint déjà une possible pénurie d'ici quelques années. Une situation critique pour la souveraineté alimentaire française, et qui profite déjà aux importations étrangères.


Le compte à rebours a commencé. En raison du vieillissement des employés, du manque d’attractivité du métier et de la mutation structurelle du secteur, la France devrait connaître une importante pénurie d’agriculteurs dans les dix prochaines années. C’est ce que nous apprend un exercice prospectif décennal publié par la Dares (Direction des statistiques du ministère du Travail) et par l’organisme France Stratégie en mars 2022, et actualisé dans une version régionalisée le 20 janvier dernier. Intitulé Quels métiers en 2023 ?, le rapport publié par le ministère de l’Emploi affirme que sur les 450 000 agriculteurs, éleveurs et sylviculteurs en activité en 2019, environ 40 % seront partis à la retraite d’ici 2030. La démographie du secteur ne joue effectivement pas en sa faveur. D’après une note de l’Insee parue en octobre 2020, 55 % des agriculteurs en exercice en 2019 avaient 50 ans ou plus, soit 24 points de plus que pour l’ensemble des personnes en emploi (31 %). Les plus de 60 ans, eux, étaient 13 % chez les agriculteurs contre 3 % chez tous les employés.

Or, seulement 21 % de la profession sera renouvelée par des jeunes débutants, auxquels s’ajoute la disparition de 5 % d’emplois (40 000) en raison de la concentration des exploitations et la diminution de l’élevage. Ce qui laisse un déséquilibre national de près de 15 % entre les besoins de recrutement et les nouvelles recrues. Ce déficit devrait porter la part de l’agriculture dans l’emploi national à moins de 2 % contre 3 % en 2019 et 4 % en 2000. Ce déficit ne date pas d’hier, mais a été, d’après la Dares, accru par les changements de comportements liés au Covid et par la mise en application de la politique bas carbone. Dans cette mise à jour récente, France Stratégie et la Dares observent des déséquilibres plus élevés « dans les deux premières régions agricoles de France, la Nouvelle-Aquitaine et la Bretagne », mais aussi dans « les régions viticoles de Bourgogne–Franche-Comté et du Grand Est (Champagne) ».

En dix ans, la France a perdu 11 % de ses bovins

La Dares ne semble pas tellement s’alarmer de la situation, prédisant un changement de paradigme dans toute l’agriculture française. Selon les auteurs de l’étude, dans les prochaines années : « Les gains de productivité se poursuivraient, poussés par l’innovation et la pression concurrentielle qui s’accroît en dépit du caractère encore relativement protégé et localisé de la production agricole en France et en Europe (notamment du fait de la politique agricole commune et de l’attention portée aux circuits courts dans les territoires). » Une innovation qui serait notamment engagée dans « la robotique, considérée comme un “investissement d’avenir” […], améliorant la performance et limitant les pénuries de main-d’œuvre. La valeur ajoutée se maintiendrait, avec des produits plus chers, de meilleure qualité et plus “individualisés” ». Raison pour laquelle, selon l’étude, les techniciens et cadres de l’agriculture seront les seuls métiers à croître (11 % d’ici à 2030), puisque les 27 % de départs en retraite seraient plus que compensés par les jeunes formés, qui composeront 44 % des emplois. Quant aux métiers de maraîchers, viticulteurs et jardiniers, ils subiraient un déficit moindre de 10 %.

Au final, nous assistons surtout à une fragilisation des métiers « classiques » de l’agriculture et de l’élevage tels que nous les avons connus ces dernières décennies. Un travail éprouvant, laissant peu de temps libre et de répit — 42 % des agricultrices françaises ne prennent aucun congé maternité et 51 % des éleveurs n’ont pas pris de vacances en 2022. Et cela pour un salaire loin d’être mirobolant. Un éleveur de vaches laitières peut par exemple espérer gagner entre 1 200 et 2 500 € net au cours de sa vie. Une situation difficile à compenser par la seule passion du métier…

L’effondrement de l’attractivité commence déjà à se faire ressentir dans certains secteurs comme la boucherie bovine. Le nombre de vaches à viande ne cesse de diminuer chaque année, laissant craindre un risque de pénurie à moyenne échéance. En dix ans, le nombre de têtes a diminué de 11 %. Selon l’Institut de l’élevage (Idele), la France a perdu 837 000 bovins depuis 2016, dont 500 000 vaches allaitantes. Toujours selon Idele, le nombre d’exploitations de bovins est passé de 230 000 en 2009 à 166 000 dix ans plus tard. Un délabrement progressif de notre patrimoine rural, mais aussi d’un énième pan de notre souveraineté alimentaire. Car comme la consommation ne baisse pas — malgré les innombrables injonctions écologistes —, cette pénurie annoncée profite au marché étranger. L’an dernier, les importations de viande bovine ont bondi de 6 %.

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