Message #54786

La question du minerai va-t-elle enterrer la transition énergétique ?
Bertrand GUYOT
12/12/2022

ARTICLE. En commission parlementaire, le directeur du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a alerté : l’industrie minière sera dans l’incapacité de répondre à la demande mondiale en minerai. Un caillou dans la chaussure de la transition énergétique en plein vote du projet de loi sur les énergies renouvelables.

C’est un sujet tout à fait crucial et pourtant, rares sont ceux qui le prennent sérieusement en considération. Faire la transition énergétique, remplacer les énergies fossiles par de l’énergie produite via du renouvelable pour des raisons d’indépendance ou d’écologie, c’est vertueux. Mais c’est nous plonger un peu plus dans une dépendance aux métaux. Et que ferions-nous si d’aventure, ces métaux n’étaient plus disponibles en abondance sur notre planète ? Cette question, qui devrait pourtant être à la base de toute politique sur ce sujet, nos dirigeants vont devoir se la poser et plus rapidement que ce que l'on pourrait croire.

C’est en tout cas ce qui ressort de l’audition de Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) par la commission d’enquête sur la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, le mardi 22 novembre. « La pensée énergétique actuelle a trop souvent tendance à occulter la question de l’économie de la ressource », a-t-il résumé.

La transition énergétique est particulièrement gourmande en minéraux. À titre d’exemple, la production d'une éolienne offshore nécessite six fois plus de ressources minérales qu’une installation de production électrique à partir de charbon. C’est environ le même rapport entre un véhicule électrique et un véhicule équipé d’un moteur thermique – dont la production sera, pour rappel, interdite par l’Union européenne à partir de 2035. En mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publiait un rapport démontrant que la demande mondiale en lithium, composant essentiel à la construction de batteries, allait être multipliée par 40 d’ici 2040. Et par 20 pour le nickel et pour le cobalt.

Pénurie de cuivre à l'horizon ?

Avons-nous donc la capacité de répondre  à cette demande? Non. C’est en tout cas la position de Christophe Poinssot en ce qui concerne le cuivre. Ce métal « sera soumis à de très fortes tensions dès 2027 ». Pour répondre à la demande provoquée par la transition énergétique mondiale, « il faudrait ouvrir quatre-vingts mines d’une taille équivalente aux plus grandes qui se trouvent en Amérique latine ». Mission impossible ?

Il semblerait bien que oui. « Il s’écoule en moyenne dix-sept ans entre la date à laquelle il est décidé d’ouvrir une mine et son exploitation effective », explique le Directeur général délégué du BRGM qui rappelle que « les mines que nous décidons d’ouvrir à présent ne seront exploitées qu’en 2039 ». La conclusion est sans appel, « l’offre ne sera pas en mesure de répondre à la demande pour ce matériau ». Or le cuivre est l’un des métaux critiques (c'est-à-dire susceptible de générer des impacts industriels ou économiques négatifs en cas de difficultés d'approvisionnement) les plus essentiels à la construction des éoliennes ou du photovoltaïque, comme le rappelle l’ADEME dans son rapport « les matériaux pour la transition énergétique, un sujet critique ».

Et la France ?

Où se situe la France dans cette équation ? Elle a souffert. « 60 % du marché mondial de transformation des terres rares se situait dans une usine de La Rochelle dans les années 1980. Désormais, 99 % de ce marché est localisé en Chine », rappelle Christophe Poinssot qui souligne la baisse des effectifs du BGRM de 300 à 50 en trente ans. Il attribue ce déclin à « la désindustrialisation progressive de notre pays » et à « la logique de la mondialisation » qui « nous a poussés à croire qu’il était toujours possible de sécuriser nos approvisionnements dans le monde ».

Un nouvel inventaire minier en France pourrait coûter jusqu’à 70 à 100 millions d’euros sur cinq à dix ans. Il serait d’autant plus approprié au contexte actuel que le dernier inventaire des ressources disponibles dans le sous-sol français date de 1975, et a été décidé en réaction au choc pétrolier de 1973. Mais à l’époque, le détail des ressources s’arrêtait à 300 mètres de profondeur tandis « qu’il est désormais possible d’extraire des minerais jusqu’à 1000 mètres de profondeur ». Pour autant, il faudra attendre largement plus de dix ans pour exploiter d’éventuels sites découverts.

Et pour doucher les quelques enthousiastes, Christophe Poinssot considère comme « certain que les sous-sols français et européen ne pourront nous assurer la fourniture de toutes les ressources dont nous aurons besoin  ». L’indépendance totale et absolue grâce au renouvelable — mais aussi, quoique dans une moindre mesure, au nucléaire – est donc illusoire. Mais de toute façon, si le camp des « yakafokon » se posait réellement la question de la faisabilité de ses décisions politiques en matière d’énergie, ça se saurait.

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