Message #43721

Lettre ouverte de la Fédération Environnement Durable à
M. le Président de la République Emmanuel MACRON


copie à :
M. le Premier Ministre Édouard PHILIPPE
M. le Ministre d’Etat Nicolas HULOT
M. le Secrétaire d’état Sébastien LECORNU



Paris le 27 février 2018


Objet : Commission Lecornu - Cristallisation d’un régime de non-droit en défaveur des riverains des centrales éoliennes



Monsieur le Président de la République,

Depuis la loi dite « Grenelle II » du 12 juillet 2010, nous assistons à la mise en place progressive d’un régime simplifié d’implantation des éoliennes industrielles dans les territoires ruraux.

Ainsi allons-nous aboutir au cours de votre mandat, avec les réformes induites par la commission Lecornu, au demeurant composée essentiellement de représentants et soutiens associatifs de la filière éolienne, aux effets inverses de ceux nécessaires à la préservation et à l’amélioration de l’environnement : en introduisant des mesures toujours plus permissives, l’Etat réduit de manière excessive les devoirs environnementaux de la filière éolienne et engage sa propre responsabilité puisqu’il consent même à porter atteinte aux principes fondamentaux de notre démocratie.

Ainsi en est-il avec le projet de « décret relatif aux éoliennes terrestres et portant diverses dispositions de simplification et clarification du droit de l’environnement », en cours de signature.

Ce projet prévoit en effet, notamment, de modifier le code de justice administrative pour confier en premier ressort le contentieux de l’éolien terrestre aux cours administratives d’appel et prévoit la cristallisation des moyens dans un délai de deux mois à compter du premier mémoire en défense. L’objet avancé pour cette réforme est, en complément de l’instauration de l’autorisation environnementale, de diviser par deux le délai de réalisation effective des parcs éoliens.

Ces deux dispositions emportent une vraie régression tant au regard du droit des gens à un procès effectif qu’au regard du droit de l’environnement, dans un contexte où avec l’autorisation environnementale, l’analyse des impacts environnementaux de l’exploitation des éoliennes géantes est devenue superficielle, expéditive et partant, du fait de la combinaison de ces éléments de fond et de la réforme procédurale envisagée, incontrôlable par le juge.

Pourtant dans votre discours lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation, affirmiez-vous :

« La justice est au cœur du projet politique français. C’est pour cela que rien de ce qui touche la justice ne peut laisser indifférent ni n’est jamais innocent….

Le premier enjeu, c’est celui de l’indépendance de la justice.
(...) Le second enjeu est celui de l’effectivité de la justice ; c'est-à-dire celui de rendre notre justice efficace, réelle, tangible pour nos concitoyens et à leur service.
(…) L’effectivité des droits, au sens où la philosophe Simone Weil convoquait ce terme d’effectivité, est la clé de toute confiance dans la justice et partant de la démocratie.

Rien ne ruinerait davantage notre édifice démocratique que le sentiment d’une justice dont les principes resteraient une construction théorique et déjà point le sentiment parfois que le citoyen le plus vulnérable ne bénéficie pas, dans la réalité, des droits qui lui sont octroyés.

Une justice effective, c’est aussi une justice qui entend les souffrances de nos concitoyens. »


Nous sommes au cœur du sujet avec le projet de décret qui instaure pour les autorisations d’implantation des éoliennes terrestres à proximité des habitations, l’éloignement du justiciable de notre justice administrative, pourtant seule à permettre par son contrôle de proportionnalité d’assurer au cas par cas la défense de nos intérêts environnementaux protégés : la santé, la sécurité, notre cadre de vie, l’environnement, la nature, nos paysages, nos monuments historiques…

Grand est le risque de prises de décisions stéréotypées dans un domaine aussi complexe.

Ce positionnement du gouvernement est inquiétant : sous couvert de simplification et de rapidité de jugement, l’Etat désormais autoritaire entend de fait par une procédure expéditive museler les minorités, l’opposition à la politique exorbitante suivie en faveur de l’industrie éolienne et entend se soustraire au contrôle effectif du juge qu’il éloigne de la réalité. L’Etat instaure là de véritables dénis de justice.

Pour les riverains, l’état des lieux est pourtant dramatiquement le suivant :

- les promoteurs sont en droit d’implanter, nonobstant leurs effets stroboscopiques, leurs pollutions visuelles et sonores, des éoliennes géantes à 500 mètres des habitations,

- les études d’impact environnemental sont sous l’emprise des promoteurs éoliens qui choisissent et rémunèrent librement les cabinets d’études qui les réalisent,

- les communes d’implantation et limitrophes n’ont plus à se prononcer par avis conformes,

- l’effet des avis des commissions environnementales est relatif,

- le préfet est soumis à des délais d’instruction réduits et donc obligé à un examen superficiel de l’impact environnemental des projets (délai de deux mois seulement de la phase de décision),

- le niveau de consensus et de participation du public qui en résulte est faible,

- l’autorisation environnementale déroge au code de la santé publique pour les seuils admissibles de bruit,

- le repowering se fera sans expertise environnementale de l’existant, sans nouveau permis de construire, sans nouvelle enquête publique;

- les délais de recours sont réduits à de brefs délais expirés avant même la mise en service des parcs, dans l’ignorance en conséquence des personnes dont l’habitation est impactée ;

- les troubles anormaux de voisinage ne sont plus a posteriori pris en considération en dépit de souffrances multiples subies comme en dépit des atteintes diverses aux droits environnementaux, conventionnellement, constitutionnellement et légalement protégés.


Cet inventaire conduit la Fédération Environnement Durable composée de plus de 1.000 associations de toutes les régions de France et dont je suis le Président, à vous demander, Monsieur le Président de la République, en premier lieu d'imposer le maintien du libre accès des administrés à la justice.

En effet, considération prise des éléments préjudiciables aux riverains et aux communes résultant de l’exploitation des centrales éoliennes, aucune circonstance exceptionnelle ne justifie la suppression du double degré de juridiction, la limitation du droit d’accès au « juge naturel » statuant, sous contrôle d’une juridiction supérieure, en droit comme en fait. Il existe bien d’autres moyens d’accélérer les procédures, notamment avec des clôtures d’instruction dans des délais raisonnables.

Aucune circonstance exceptionnelle ne justifie la cristallisation des moyens.

Le gouvernement programme par-là l’atteinte au droit à une justice impartiale, aux droits des riverains : le préfet a en effet dès la mise en place des projets éoliens la pleine connaissance des éléments que lui-même a instruits, notamment des études d’impact, alors que le plaideur particulier ne dispose que de fragments des dossiers d’instruction des projets éoliens. Est avérée là une rupture de l’égalité des armes devant la justice.

Puisqu’il s’évince de l’ensemble de ce qui précède une réelle atteinte aux principes fondamentaux d’égalité et de justice, nous nous permettons de vous demander en second lieu, Monsieur le Président de la République, d’induire la suppression de l’ensemble des normes exorbitantes dont bénéficient les promoteurs éoliens, en violation de leurs devoirs environnementaux et du droit des gens.

Veuillez agréer, Monsieur le président de la République, l'expression de notre respectueuse considération.

Jean-Louis Butré Elisabeth Panthou-Renard
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Contact :

Jean-Louis Butré
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