Message #1782

Pierre-Paul FOURCADE
rédigé le Samedi 4 Décembre 2010
Désultoirement vôtre ! - Généalogie et sagas familiales - Références culturelles
Je poursuis tranquillement ma lecture de "La carte et le territoire", le Goncourt de Michel HOUELLEBECQ. Il y a de très bons passages, notamment, selon moi, ceux où l'auteur se met en scène comme personnage du roman : il y fait preuve d'une auto-dérision bien réjouissante et j'aime ça. J'observe cependant que le taux de testostérone des mâles de son roman a beaucoup baissé depuis ses précédents ouvrages (je veux dire par là que je n'ai pas encore trouvé la moindre scène de cul torride, comme il en fleurissait dans ses oeuvres antérieures).

En pages 260 et 261, je relève le passage suivant, Jed remarque, sur la table basse de la salle de séjour du romancier, une ancienne édition des "Souvenirs" de TOCQUEVILLE. HOUELLEBECQ donne alors son opinion sur l'homme qui osa tailler un costard définitif (?) au grand-oncle Paul :

(début de la citation) "'Un cas étonnant, Tocqueville...' poursuivit l'écrivain. 'De la démocratie en Amérique' est un chef-d'oeuvre, un livre d'une puissance visionnaire inouïe, qui innove absolument, et dans tous les domaines ; c'est sans doute le livre politique le plus intelligent jamais écrit. Et après avoir produit cette oeuvre renversante, au lieu de continuer il consacre toute son énergie à se faire élire comme député dans un modeste arrondissement de la Manche, puis à prendre des responsabilités dans les gouvernements de son temps, tout à fait comme un politicien ordinaire. Et pourtant il n'avait rien perdu de son acuité, de sa puissance d'observation...' Il feuilleta le volume des 'Souvenirs' tout en caressant l'échine de Platon, qui s'était rallongé à ses pieds. 'Ecoutez ça, quand il parle de Lamartine ! Ouh là là, qu'est-ce qu'il lui met, à Lamartine !...' Il lut, d'une voix agréable et bien scandée :

'Je ne sais si j'ai rencontré, dans ce monde d'ambitions égoïstes, au milieu duquel j'ai vécu, un esprit plus vide de la pensée du bien public que le sien. J'y ai vu une foule d'hommes troubler le pays pour se grandir : c'est la perversité courante ; mais il est le seul, je crois, qui m'ait semblé toujours prêt à bouleverser le monde pour se distraire.'

Il n'en revient pas, Tocqueville, d'être en présence d'un specimen pareil. Lui-même est fondamentalement un type honnête, qui essaie de faire ce qui lui paraît de mieux pour son pays. L'ambition, la convoitise, il peut comprendre ; mais un tel tempérament de comédien, un tel mélange d'irresponsabilité et de dilettantisme, il en reste pantois. Ecoutez aussi, juste après :

'Je n'ai jamais connu non plus d'esprit moins sincère, ni qui eût un mépris plus complet pour la vérité. Quand je dis qu'il la méprisait, je me trompe ; il ne l'honorait point assez pour s'occuper d'elle d'aucune manière. En parlant ou en écrivant, il sort du vrai et y rentre sans y prendre garde ; uniquement préoccupé d'un certain effet qu'il veut produire à ce moment-là...' '

Oubliant son hôte, Houellebecq continua à lire pour lui-même, tournant les pages avec une jubilation croissante." (fin de la citation)

M. HOUELLEBECQ semble confondre l'arrondissement d'un sous-préfet et la circonscription d'un député. A part ça, il cite des passages où TOCQUEVILLE rabaisse efficacement LAMARTINE. Comme quoi ce bas-normand de génie n'aimait vraiment pas ses adversaires politiques. Mais est-il utile que je rappelle que LAMARTINE était un ami du grand-oncle Paul ?

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