Message #47868

Dans le numéro de "Ouest-France" du jour, il est question d'un de mes anciens élèves à l'E.N.A. (si mes souvenirs sont bons, je lui enseignais les "Problèmes budgétaires et fiscaux" alors que je venais juste de recevoir mon diplôme, ce qui ne manquait pas d'un certain culot de ma part ; et d'une certaine audace de la part du directeur des études qui m'avait propulsé là) :

D'après l'article, il serait reproché à ce haut fonctionnaire en position d'activité d'avoir oublié son devoir de réserve en s'exprimant, à propos d'un projet de loi actuellement débattu au Sénat, dans les termes suivants : "Le projet de loi bioéthique porte une rupture anthropologique majeure" et "A titre personnel, je ne suis pas sûr que cette loi favorise les repères auxquels aspirent nos concitoyens".

Je fais l'hypothèse que les propos ainsi rapportés sont exacts et expriment convenablement ce que ce préfet de région a dit en public.

Moi qui me considère libre d'exprimer, dans le cadre fixé par la loi, et en vertu d'une liberté fondamentale, telle que garantie par la Constitution, toute opinion sur quelque sujet que ce soit, je voudrais dire ce que je pense de cette affaire où un important élu local a souhaité que ce haut fonctionnaire soit démis de ses responsabilités.

La première phrase reprochée, si elle ne me paraît pas nécessairement tournée de façon optimale, c'est-à-dire compréhensible par tout un chacun, me semble exacte, donc inattaquable, s'il s'agit des questions éthiques tournant autour de l'autorisation de la P.M.A. ou de la G.P.A. En effet, dès lors que les progrès de la science rendent possibles des situations que la nature n'avait pas générées spontanément jusqu'alors, il y a bien, à mon sens, possibilité d'une évolution forte et rapide des mentalités. La question, particulièrement délicate, serait de savoir si autoriser des travaux pratiques autour de telles nouvelles compétences est souhaitable ou non. Voire, plus profondément, d'évaluer si de nouvelles réglementations seraient applicables, si tant est que l'on sache quelles règles édicter.

Sensible aux thèses défendues en la matière par divers bons auteurs, dont mon ancienne "amie Facebook" Marie-Anne FRISON-ROCHE, j'ai longtemps été persuadé que permettre aux lois du marché, "a fortiori" du marché noir, d'étendre leur emprise aux mécanismes de la procréation ne pouvait aboutir qu'à des catastrophes, en termes d'éthique personnelle comme de civilisation.

Mais la lecture récente de la partie écrite par Laurent ALEXANDRE du "livre à quatre mains" sur l'intelligence artificielle a ébranlé ces convictions. L'application que fait cet auteur de l'extrapolation dans le temps de la loi de MOORE sur la croissance de la puissance de calcul des ordinateurs, plus le constat que le monde chinois ne s'embarrasse pas des mêmes interdits moraux que les Européens font, à eux deux, que l'on doive, semble-t-il, admettre qu'en tout état de cause, il devient nécessaire de s'accoutumer à de tels "glissements de l'espèce humaine" (j'appelle cela ainsi, faute de meilleure expression qui me vienne sous la plume) parce qu'ils sont d'ores et déjà engagés avec force et efficacité par d'autres.

La seconde phrase reprochée me paraît tout autant admissible en ce qu'elle exprime une opinion personnelle, clairement déclarée comme telle.

Mais le reproche fait à ce haut fonctionnaire ne porte pas, me semble-t-il, sur la justesse de ses propos mais sur le fait qu'il les a exprimés de façon publique, dans une circonstance officielle où c'est bien en qualité de préfet de région qu'il a parlé.

A mes yeux, c'est là et uniquement là que peut être fondé un reproche justifiable : avoir fait état en public d'une opinion personnelle sur un sujet délicat faisant débat.

Pour autant, le comportement en question justifierait-il une sanction grave ?

En ces temps où les pintades volent bas, il est imaginable qu'en haut lieu, on veuille faire un exemple. Ne serait-ce que pour montrer qu'un principe général est appliqué dont on puisse rapidement, et dans un tout autre contexte, se prévaloir.

Je suppose que la suite des événements pourrait nous l'apprendre assez vite, bien que je pense que les plus hautes autorités de l'Etat ont su faire preuve d'une extrême patience quand elles l'estimaient nécessaire dans d'autres circonstances où garder son sang-froid était essentiel.

Mais que cela ne nous empêche pas de réfléchir, aussi bien et sincèrement que nous le pouvons, au fond du débat, c'est-à-dire aux perspectives que nous ouvre et aux dangers pour l'espèce humaine que peut recéler le transhumanisme. Sans parler des risques de débordement et d'assujettissement irréversible d'Homo Sapiens par des robots.

P.S. : (Début de citation)

De : Pierre-Paul Fourcade
Envoyé : jeudi 23 janvier 2020 19:12
À : Dominique Lemaire
Objet : Pour avis

Cher Domino,

J'aimerais bien qu'en ta qualité de brillant archicube, tu donnes ton avis sur mes élucubrations : https://www.chaslerie.fr/blog/message/47868

Amitiés,

PPF

(Fin de citation)

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