Message #1816

Selon moi, une bonne compréhension de l'histoire d'un monument historique est le préalable nécessaire d'une restauration menée dans un bon esprit. C'est ce que j'essaye de faire comprendre à mes fils, et notamment à mon aîné qui voudrait percer de nouvelles ouvertures sur la cave, au risque, à mon sens, de la dénaturer durablement et, peut-être, irréversiblement. Thibaud me fait cependant valoir qu'il entend seulement mettre en application le permis de construire que j'avais moi-même obtenu, sur la base de plans que j'avais approuvés il y a une quinzaine d'années.

Corrélativement, le fait de se livrer, consciemment ou non, à une relecture biaisée de l'histoire, voire à sa dénaturation pure et simple, est une mauvaise façon, certainement, de se mettre en position d'entreprendre des travaux judicieux et qui respectent "l'esprit des lieux". C'est ce que je voudrais expliquer maintenant en prenant pour exemples les travaux effectués à la Chaslerie vers le milieu du siècle dernier. Ce sera là l'objet de mes plus prochains messages sous cet onglet. Car il y a un continuum entre les événements extérieurs qui s'imposent au bâtiment et la qualité des soins dont il a pu faire l'objet à travers les siècles. Et, si l'on déchire le tissu de l'Histoire, il y a de grandes chances qu'on martyrise aussi les vieilles pierres.

Bien sûr, d'autres facteurs doivent être pris en considération pour relativiser ce qui, aujourd'hui, peut apparaître le plus raté sous nos yeux. On a d'ailleurs compris que le niveau d'exigence peut se durcir avec le temps, comme dans mon cas depuis que j'ai acquis le manoir (même si j'ai toujours été négatif à propos de la frénésie de percement d'ouvertures qui semble s'être abattue sur la Chaslerie pour en crever les façades vers 1950). De même, les travaux que nous menons nous-mêmes aujourd'hui, s'ils n'appellent pas encore de critiques trop vives de la part des visiteurs, pourraient fort bien, vers 2070 ou même avant, sembler avoir constitué un gaspillage invraisemblable de moyens qui eussent pu être investis de façon plus judicieuse ailleurs. Par exemple, j'ai déjà entendu, il y a deux ou trois jours à peine, un agriculteur remembreur d'une commune voisine me dire que, dans le pays, certains s'étonnaient que l'"on" puisse consacrer autant d'argent à la restauration du manoir de la Chaslerie alors que la dynamique association constituée autour de l'église Saint Julien de Domfront peinerait à trouver des fonds pour en restaurer le clocher. Il y a donc pour le moins, reconnaissons-le, des points de vue divers.

Du point de vue où je me place et avant de porter, par exemple, un jugement que je souhaiterais éclairé sur la qualité des travaux de restauration menés à la Chaslerie au milieu du siècle dernier, j'admets fort bien que doivent être pris en compte un certain nombre de facteurs comme :
- la dureté des temps (on sortait alors d'un conflit mondial),
- des contraintes humaines (comme l'emprise qu'on nous a prétendue trop longue d'un mauvais "régisseur"),
- la variation des modes (il faudrait consacrer un jour un ouvrage entier à disséquer la mauvaise influence de certaines revues dites de décoration sur tant de ménagères un peu naïves),
- le progrès des techniques (qui utiliserait encore du fibro-ciment à base d'amiante pour restaurer des plafonds ?)
- l'urgence, car il s'agissait de rendre habitable des volumes qui avaient brûlé et de loger des personnes déjà âgées lorsqu'elles se sont enfin trouvées en position d'entreprendre des travaux ;
- etc...

Je suis prêt à entendre tous ces arguments.

Pour autant, cela ne me rend pas aveugle.

Commentaires