Message #45353

(Début de citation)

De : Pierre-Paul Fourcade <penadomf@msn.com>
Envoyé : lundi 28 janvier 2019 22:59
À : CORESPA
Cc : C.F. ; T.F.
Objet : RE: La Chaslerie

Cher Monsieur l'inspecteur général,

En y réfléchissant un peu plus, je vois un autre argument à prendre en compte dans la réflexion sur le bon parti à retenir quant à la hauteur de la porte principale du logis.

Voici à quoi je pense :

La fortune des LEDIN, propriétaires de la Chaslerie avant la Révolution a connu des hauts et des bas au fil des siècles. L'idée générale est qu'ils ont su progresser au sein de la noblesse grâce à la qualité de leurs alliances. A ce sujet, Eric YVARD est en train de déchiffrer des documents, jusque là inédits, précisant quel pouvait être leur niveau de vie à l'époque Transition retenue pour dater la porte litigieuse d'accès actuel au "salon de l'aile de la belle-mère".

On ne sait pas clairement à ce jour ce qui préexistait en 1598, date de construction du corps principal actuel du logis. Des indices donnent à penser que les deux tours rondes pourraient être antérieures, voire sensiblement antérieures. Il est sûr qu'au début du XVIIIème, une "aile en retour" du logis a disparu, sans doute à l'occasion d'un premier (?) incendie, ce qui a dû être un choc. Donc j'imagine que les propriétaires d'alors ont d'abord songé à panser cette plaie. Les techniques des carriers avaient évolué depuis 1598, le travail était plus "industriel" et on ne s'encombrait plus de chanfreins ouvragés. Mais on disposait d'un stock de pierres chanfreinées issues de l'aile disparue, de sorte qu'il a été facile de relever le linteau de la porte principale sans que la cicatrice ne se voie, ni en raison de la couleur des pierres, ni en raison de leur travail.

Outre cette disparition de l'"aile en retour", les années 1710 à 1760, époque où les LEDIN étaient prospères et y veillaient (par exemple en épousant les veuves de parents pour garder le contrôle de la charge de vicomte de Domfront), se sont traduites à la Chaslerie par d'importants changements du plan-masse :
- mur Sud avec son dôme, qui a permis de donner à la cour une forme fermée, nouvelle ici et inhabituelle dans le secteur,
- donc retrait de grilles au moins sur la façade Ouest du logis, désormais incluse dans cette cour,
- probable surélévation des écuries, avec la belle charpente mansardée due à Jean MIDY que nous savons, comme l'est la couverture plus simple de la "cave" voisine, élément de "standing" supérieur à celui de bâtiments en colombages,
- possible transformation du colombier pour loger le chapelain (?) ; malgré mes intuitions et mes recherches, je peine toutefois à le prouver.

Donc je me dis qu'il peut y avoir une cohérence historique, architecturale et psychologique ("standing" revendiqué) à ce que le linteau qui nous interroge ait été relevé comme on le voit et, surtout, l'ait été de façon cohérente avec le reste, congruente si l'on peut dire avec le nouveau "look" du manoir.

Durant la 2ème moitié du XVIIIème, la famille LEDIN était tombée en quenouille, le gendre principal, Louis-Marie de VASSY était le propriétaire de plus beaux châteaux. Donc, à la Révolution, il n'y avait plus dans les lieux qu'un préposé de ce VASSY, un dénommé GOUPIL, suffisamment malin pour savoir présenter la Chaslerie sous un triste jour aux experts commis pour la vente du Bien National, donc pour pouvoir en acheter une partie à vil prix.

C'est ce GOUPIL que je traque depuis un bon quart de siècle, car c'est un homonyme des très troubles frangins dont la fortune "considérable" a irrigué le proche secteur.

Bien cordialement,

PPF

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De : Pierre-Paul Fourcade <penadomf@msn.com>
Envoyé : lundi 28 janvier 2019 20:27
À : CORESPA
Cc : C.F. ; T.F.
Objet : RE: La Chaslerie

Cher Monsieur l'inspecteur général,

Merci beaucoup pour votre message plein d'empathie et pour vos réflexions sur la porte principale du logis. Vous me demandez de répondre avec mes franchise et liberté habituelles aux deux questions que vous me posez. C'est ce que je vais tâcher de faire car, comme vous l'avez compris, cette réputation est loin de me déplaire.

1 - Sur la stratégie :
J'avoue ne pas avoir très bien saisi ce que cette notion recouvre sous votre plume. Je l'ai pourtant étudiée, s'agissant de ses applications dans l'entreprise ; c'était à "London Business School", les professeurs de cette matière étaient réputés parmi les tout meilleurs au monde mais je n'ai pas été convaincu, donc ai continué, à tort ou à raison, à assimiler la stratégie à du bla-bla.
Ceci étant, je vois bien ce qui a coincé avec mes deux derniers "architectes du patrimoine", MM. (...). C'est en réalité une affaire de gros sous (du moins relatifs). Ils trouvaient que je n'en avais pas assez (...).
Mais il ne m'appartient pas de refaire le monde même si la situation que je viens de décrire, si elle était confirmée par plus capable que moi, devrait appeler de profondes réformes dans ce domaine certes un peu particulier.
En fait, la bonne question, concrète et immédiate, que vous avez la grande pudeur de ne pas me poser, est de savoir combien je suis prêt à investir chaque année dans mon programme de restauration. C'est ce montant qui, par application des pourcentages en vigueur dans ladite corporation en situation de monopole, permet de déduire ce que mon chantier peut rapporter chaque année aux heureux tenants du titre, du moins ceux agissant à titre privé. Or, depuis que j'ai acheté la Chaslerie il y a plus de 27 ans, le montant de ma mise pour les travaux a été de l'ordre de (...) €/an. Désormais, je suis retraité de la fonction publique mais je peux faire en sorte de bénéficier de revenus locatifs à Paris, donc maintenir un train de travaux ralenti, certes, mais pas nécessairement dans de trop grandes proportions. Surtout, à l'horizon de 5 ans, mon relais devrait pouvoir être pris par mon aîné (c'est ce qui ressort de nos échanges les plus récents à ce sujet), ce qui serait de nature à permettre de donner un autre élan au chantier.
Donc, pour dire les choses simplement, je ne vois pas de problème "stratégique" sérieux, si du moins l'on accepte, comme j'ai eu le front de le suggérer, d'assimiler la stratégie à une question de sous.
Quant à mes priorités de travaux (ce qui est un autre volet de ce qu'on peut entendre par stratégie), elles vous sont connues. Je considère que deux questions critiques essentielles sont d'ores et déjà résolues, d'une part le choix du combustible (on devrait se chauffer par aquathermie), d'autre part la définition de ce que j'appelle l'"escalier en facteur commun de l'aile de la belle-mère" (tout ceci est documenté sur le "site favori"). La suite serait, tant que je resterais maître d'ouvrage, de donner la priorité aux points urgents connus (cf notamment mon courriel du 20 novembre dernier à M. (...), qui reprenait en les précisant les orientations que j'avais pensé lui avoir données par lettre du 10 avril), ainsi qu'à la restauration intérieure de la moitié Nord du logis (y compris la cage d'escalier et en y ajoutant les salles d'eaux du rez-de-chaussée du bâtiment Nord, à savoir cuisine, arrière-cuisine et cabinet de toilettes). Bien sûr, je ne m'interdirais pas de broder sur ce programme, notamment dans le colombier, en tenant compte principalement de la disponibilité d'artisans de qualité.

2 - Sur la porte d'entrée du logis :
J'apprécie énormément la proposition que vous m'avez présentée spontanément aujourd'hui.
Elle tient selon moi le meilleur compte des données disponibles sur l'histoire du bâtiment et les accidents qui l'ont affecté au cours des siècles. A ce sujet, je dois compléter votre information par la mention d'un incendie qui, selon moi, a détruit l'"aile en retour" (bâtie à l'intérieur de la cour actuelle, devant ce qui est ensuite devenu le "bâtiment Nord") au début du XVIIIème siècle, entraînant le rebouchage du "trou" avec "percement" de quatre fenêtres "modernes", aux chanfreins beaucoup moins beaux que ceux des autres fenêtres sur cour du logis, celles de la moitié Sud.
A ce titre, votre proposition comble une lacune, à mes yeux importante, de l'"étude préalable" de M. (...). Ce dernier n'avait en effet tenu aucun compte des observations que je lui avais présentées en temps utile à ce sujet, pas plus qu'il n'avait tenu le moindre compte de mes remarques sur les linteaux des fenêtres du 1er étage (alors que, sur ce dernier sujet, j'avais préparé à son intention une étude comparative inédite sur les manoirs du Domfrontais).
Car, outre leur monopole non contrôlé pénible à supporter par la "base", certains "architectes du patrimoine" semblent parfois avoir une si haute conscience de leur valeur qu'ils se bouchent les oreilles et les yeux quand de vulgaires maîtres d'ouvrage privés imaginent pouvoir enrichir leur réflexion avec de simples arguments de fait.
Ceci étant, pour justifiable historiquement qu'elle est, marquant à ce titre un très gros progrès par rapport à l'"étude préalable" en question, votre proposition mérite que j'y réfléchisse encore un peu. Le point qui me chiffonne à ce stade tient à l'habitabilité de (la manœuvrabilité dans) l'entrée du logis avec une porte à un seul battant : je craindrais que le passage vers le salon tienne un peu du slalom. Je signale à votre attention un argument historique qui me paraît intéressant : l'accès aux deux grandes pièces du rez-de-chaussée du logis se fait, à partir de l'entrée/cage d'escalier, par deux portes aux chanfreins de qualité et de grande hauteur, manifestement contemporaines du rehaussement du linteau de la porte principale (N.B. : Il demeure, vers la salle-à-manger, une porte plus basse, avec sa feuillure, qui doit dater de la construction de 1598).
Quoi qu'il en soit, et comme vous le relevez fort justement, la D.R.A.C. a eu la finesse de laisser la porte ouverte (c'est le cas de le dire) à une inflexion du programme de restauration des menuiseries extérieures du logis qui serait appliquée à propos de cette porte.
Donc la réflexion nouvelle à laquelle vous nous invitez est sans aucun doute opportune en l'état du dossier.
Je pense qu'un "architecte du patrimoine" digne de la confiance investie en lui par les pouvoirs publics lorsqu'ils ont légiféré sur ce monopole, aurait à cœur de réexaminer le dossier sur ce sujet, c'est-à-dire là où M. (...) a bâclé sa réflexion et là où M. (...) s'est contenté d'un survol parfaitement inconséquent à ce stade et cause d'une nouvelle perte de temps.

Cher Monsieur l'inspecteur général, je pense que ce courriel vous aura conforté dans vos impressions sur un chantier dont un précédent "architecte du patrimoine" avait dit, de mémoire, que le point le plus notable était "la personnalité du maître d'ouvrage".

J'espère surtout vous avoir été utile dans la mission que j'ai entendu vous confier dans l'intérêt du monument.

Bien cordialement,

PPF

P.S. : Vérification faite...

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De : CORESPA <yl-corespa@orange.fr>
Envoyé : lundi 28 janvier 2019 11:27
À : Pierre-Paul Fourcade
Objet : La Chaslerie

Cher Monsieur,

Je me plonge dans le dossier de La Chaslerie, avec l’excellent souvenir de notre première rencontre in situ, et de la découverte de la belle restauration - exigeante et sans concessions - que vous avez entreprise sur ce monument.
Je souhaite vous appeler aujourd’hui pour évoquer les questions stratégiques pour la suite de ce projet. Mais dès à présent, je me suis permis une analyse sur un élément majeur, dont l’état actuel de la réflexion - et de l’action - m'interroge : la porte d’entrée du logis, qui constitue le point focal du monument.
Je viens de vous envoyer par "We Transfer" l’état de cette réflexion, que je soumets à votre méditation.
Vous connaissez mieux que moi l’édifice, mais j’ai essayé d’avoir le regard que j’aurais eu si le dossier des menuiseries de La Chaslerie m’avait été posé en qualité d’inspecteur général … On ne se refait pas.
Je me doute qu’à la lecture de cet envoi vous réagirez avec toute la franchise et la liberté qui vous caractérisent. C’est ainsi que je conçois notre collaboration.

Bonne lecture, et au téléphone cet après-midi ?

Bien cordialement,

Yves Lescroart

(Fin de citation)

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